ARAGON 2014
les 19, 20 et 21 mai

Collégiale de Bolea
 

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La Collégiale de Sta. Maria La Mayor de Bolea.
A plus de 700m d'altitude elle domine le village de Boléa et le paysage agricole alentour.

Le site : A l'origine un ancien château-palais lors de la domination arabe «Al-Andalus» ( dont il reste quelques murs de fondation et une tour ) qui fut conquis par le roi catholique Pedro de Aragon lors de la Reconquista en 1101. Sur ces ruines au 12ème on érigea une église Romane (crypte encore visible) située sur le chemin catalan de St. Jacques de Compostelle.

Historique : Boléa (qui signifie «lieu élevé») est situé entre la Navarre et la France, entre Huesca et Jaca en Aragon sur une voix de circulation commerciale et dans une province agricole riche, ce qui favorisa l'implantation du Prieuré de l'Abbaye Royale de Montearagon.
Le monastère ( une donation royale ) est autorisé à prélever la dîme (revenu des terres ). Ce privilège fut conservé jusqu'en 1571 , l'église fut alors intégrée au Diocèse de Huesca en tant que Collégiale* dont le Chapitre comptait de nombreux clercs. Mais à partir du milieu du 19ème avec le «desamorcido» la perte des revenus éclésiastiques- le groupe de clercs diminue. Puis l'économie de la région se transformant avec le nouveau tracé des routes doublé de l'exode rural vers Huesca, la Collégiale rentre alors en sommeil. Aujourd'hui Sta. Maria de Boléa revit grâce à un engouement touristique et culturel soutenu par une campagne de restaurations depuis 1983.

La Collégiale : comme de nombreux édifices religieux de l'époque, elle est destinée à affirmer la puissance des Rois Catholiques (Isabel et Ferdinand - 1469/1516) et de leurs héritiers. C'est à Pedro de Irazabal de Guipuzcoa entre 1541 et 1559 que fut confié la transformation de l'ancienne église dont il conserva les fondations du temple roman de plan carré avec ses trois nefs identiques, ce qui induit le caractère trapu de l'édifice. Pour l'élévation il s'inspira de la cathédrale de Barbastro et du raffinement de celle de la Seo de Saragosse de style transition gothique/renaissance, dit «hallenkirche». Les arcs sont en plein cintre et les colonnes sont cannelées pour la nef centrale et annelées dans le chœur, le plafond est constitué de voutes en étoile et de croisée d'ogives aux ornements différents.

Le portail d'entrée plus tardif (1616) de style manièriste fut sculpté par Juan-Miguel de Orliens et le tailleur de pierre Juan de Escorz.

Le retable du Maître Autel est considéré comme un des joyaux de la peinture religieuse espagnole de la Renaissance. Réalisé entre 1490 et 1505 par deux artistes «régionaux» Gil de Brabante et le Maître de Boléa il est significatif du croisement d'influences artistiques liées à l'histoire de l'Espagne et à la tradition de la formation des artistes qui circulent invités par les différentes cours d'Europe. Les liens privilégiés de l'Espagne avec la papauté et le double royaume de Charles Quint (1515/1555) Espagne/ Flandres et son emprise sur le royaume de Naples et de Sicile, vont favoriser ces échanges. Déjà en 1430 le peintre flamand Jean van Eyck avait séjourné dans la péninsule Ibérique important la technique de la peinture l'huile et transformant les fonds paysagers qui seront désormais préférés aux de Tolède croisera l'art flamand, le gothique espagnol et l'influence de la Renaissance italienne qu'il ramène de son séjour à Urbino.

La conception du retable est, de Gil de Brabant (organisation et sculpure), elle est de style hispano-gothique dit aussi gothique isabélin. L'artiste est d'origine flamande , son atelier à Huesca pratique une «mazonéria», ici les divisions en registres verticaux et horizontaux combinent 20 peintures et 57 sculptures encadrées d'une corniche. Le soubassement - les cinq petits panneaux peints de la predelle et les 2 panneaux latéraux forment une assise symétrique, horizontale et stabilisante tandis que la partie haute combine l'imbrication souple, «:à l'italienne», des autres tableautins. Au centre du retable, en saillie, le tabernacle supporte une vierge** de style flamand couronnée d'un dôme ciselé. …
-  …  Le tout en bois polychrome et doré associe la composition maîtrisée de l'art nordique et la survivance du raffinement de l'art mudejar.

Les peintures du retable du Maître de Boléa sont exceptionnelles. De l'artiste anonyme on sait peu de choses. Peut 'tre fut- il l'élève du peintre de l'Ecole de Castille : John de Bourgogne, Peut-être est- il apparenté avec la famille des sculpteurs et architectse de la génération précédente Gil et Diego de Siloé (père et fils) originaires d'Anvers, puis installés en Castille: leur style gothique finissant s'apparente à celui de Berruguette, ils ont œuvré dans les régions de Barcelone, Lleida, Léon… Séville.
Les peintures du Retable du Maître de Boléa surprennenten en ce lieu par la qualité du travail plastique et le style de l'artiste marqué par les courants qui se développent dans les hauts-lieux de l'art religieux à l'époque. Le retable historié retrace la vie de Jésus intimement lié à la présence de la Vierge Marie (à qui l'église est dédiée). Le récit se hiérarchise du haut vers le bas et se poursuit dans la predelle avec les scènes qui évoquent la Passion et la mort de Jésus: Annonciation, Epiphanie, Présentation au Temple, Fuite en Egypte, Les Docteurs de la Loi, Lavement des pieds, La Cène, La prière au jardin, Arrestation, Ecce Homo, le Chemin de Croix… Dans les panneaux latéraux sont représentés St. Augustin et St. Grégoire les deux Patrons secondaires de la Collégiale.

Le style pictural La technique à la tempéra (ou à la détrempe: pigments dilués à l'eau et fixés à la caseï'ne est la même que celle des fresques), conserve toute sa fraîcheur aux couleurs qui sont ici particulièrement brillantes (les rouges sont confrontés au vert et bleu vifs. Le travail du modelè et des détails rivalise avec le rendu de la technique récente de l'huile (la souplesse des plissés et drapés des vêtements et les détails des motifs décoratifs et effets de matière du manteau de la Vierge, manchons de fourrure…)
Le cadavre du christ s'expose à la manière d'un «expressionisme du nord», la raideur du corps et des détails réalistes de ses blessures font penser au retable d'Isseheim à Colmar. La vierge au contraire, adopte une attitude empreinte de piété et de tendresse, plus humaine comme les vierges italiennes de Giotto. St. Jean et la femme pieuse (cheveux au vent) sont en mouvement, une attitude spontanée et inattendue dans le cadre dramatique de cette scène. De même les trois personnages du 2ème plan à droite (vêtus en costumes de l'époque du 15ème ) indifferents au drame bavardent entre eux, ils ont des expressions de visage différenciées et rappelent les portraits de cour (ce pourraient être ceux des donateurs).
Deux exemples sont significatifs d'une nouvelle vision de l'espace dans le tableau qui romp avec la tradition gothique des fonds d'or symboliques. La composition des «Lamentations» ou «Pieta» est stabilisée par la symétrie installée par la croix (qui à aussi un rôle de renfort des deux panneaux de bois ), mais la scène organisée en 3 plans successifs ( le corps allongé du Christ, les personnages puis le ciel ) suggère une profondeur de l'image très naturaliste. Le traitement en perspective dans «Le lavement des pieds», le sol en damiers, la succéssion des arcatures de l'architecture derrière lesquelles se dessinent un paysage, indiquent une maîtrise des nouveaux codes picturaux.
Le tout adopte un caractère plus humain, plus vivant et réaliste que celui de la tradition gothique survivante dans les pays du nord. Cette rencontre des styles artistiques «hispano-flamand» teinté d'italianisme - est bien significative du contexte artistique et politique de l'Espagne de cette époque.

* La Vierge représenté ici n'est pas une «Maesta» (reine du monde représentée sur un trône où les pieds posés sur le globe terrestre) mais c'est celle de l'Assomption (Marie monte au ciel après sa mort), ses pieds reposent sur un croissant de lune (rien à voir avec le croissant islamique malgré la situation historique du site).
** Collégiale: établissement religieux créé par un personnage important qui y installe un collège de clercs afin que ceux-ci prient quotidiennement pour son salut.